Article rédigé par Sophie Bernad
Un voyage en train entre Aktaou (Kazakhstan) et Nukus (Ouzbékistan)
Extrait d’un voyage en train de 3 mois entre Paris et Almaty
Le train ralentit son rythme, il arrive bientôt en gare de Beyneu. Il est 2h50, le wagon est plongé dans le noir, et seuls quelques légers ronflements viennent perturber les doux roulements du train. Le contrôleur se fraye un chemin entre les couchettes pour atteindre les quelques voyageurs qui descendent à cet arrêt. D’un ton sec, il s’adresse en russe aux passagers pour leur signifier qu’ils doivent retirer les draps des couchettes et se préparer à descendre. C’est en tout cas ce que semblent indiquer ses gestes, et nous obtempérons.
Les échanges au Kazakhstan lorsque l’on ne parle pas un mot ni de kazakh, ni de russe, sont particulièrement compliqués. Mais ce n’est rien comparé à la gymnastique que nous impose le fait de devoir défaire les draps d’un lit couchette situé à un mètre cinquante au-dessus du sol, dans le noir, sans échelle, et sans déranger la personne dormant dans la couchette du dessous. Dix minutes plus tard, le train s’arrête, et nous pouvons descendre du train. Ce n’est pourtant pas la fin de notre trajet, et quatorze autres longues heures de train nous attendent afin d’atteindre la ville de Nukus en Ouzbékistan.
Il règne une atmosphère très calme en gare de Beyneu à cette heure tardive. Pourtant de nombreuses personnes sont affairées à porter leurs nombreux bagages jusqu’au train vert et blanc qui est stationné quelques voies plus loin. Une femme d’une soixantaine d’années déplace difficilement quatre grands cabas l’un après l’autre, jusqu’à arriver à la porte de son wagon. Une autre femme, un bébé dans les bras, est entourée de ses trois filles qui s’occupent de tirer les lourdes valises à roulettes. A côté, nous voyageons léger avec chacun notre gros sac à dos.
Comme le train traverse la frontière entre le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, il est rempli de douaniers chargés de contrôler les papiers et bagages des passagers avant le passage frontalier. Toutes lumières allumées, l’ambiance à l’intérieur du wagon contraste fortement avec celle de la gare et du train que les passagers viennent de quitter. Tout le monde est bien réveillé, on y parle fort, on rit, on crie. La nuit feutrée s’en est allée pour laisser place à un brouhaha joyeux. Le contrôleur ne sait plus où donner de la tête, et les douaniers crient pour essayer de retrouver un semblant d’autorité. Le wagon, rempli d’une soixantaine de personnes, ressemble plus à une colonie de vacances qu’à un groupement de parfaits inconnus. “Passeport please”, nous demande le douanier. Un premier contrôle, un deuxième, un coup de tampon, un contrôle des sacs et une dernière vérification des passeports plus tard, nous pouvons partir. Il est quatre heures du matin.
Le besoin de sommeil se fait sentir, mais nous avons à peine fini l’installation de notre couchette suspendue, que nous entrons en Ouzbékistan. “Passeport please”, nous demande un douanier en treillis. Le contrôle des bagages est plus corsé, et certains passagers doivent déballer l’intégralité de leurs nombreux sacs. L’atmosphère est toujours détendue dans le wagon, et le passage de frontière ne semble être qu’une formalité pour nombre de passagers qui font ce trajet régulièrement. Sur certains passeports, les tampons bleus du Kazakhstan et violet de l’Ouzbékistan s’intercalent sur plusieurs pages par ordre chronologique.
A cinq heures et demie, le train repart, et le soleil n’est plus très loin. L’aube pointe à l’horizon, le calme s’installe progressivement dans le wagon, jusqu’à ne plus entendre que les roulements du train qui s’enchaînent dans la plus grande des régularité, entrecoupés de temps en temps par les légers ronflements de passagers profondément endormis.
A la fenêtre défile encore et toujours le même paysage depuis quatre heures maintenant. Les terres arides s’étendent à perte de vue, et les traces de vies humaines se font rares. A chaque fois que notre regard se porte vers l’extérieur, nous voyons une terre grisâtre parsemée de cailloux et d’herbes sèches, et le ciel bleu n’est pas entaché d’un seul nuage. Comme si l’on passait en boucle le même film aux couleurs délavées. Les kilomètres traînent en longueur, et nos corps, allongés sur nos couchettes, s’alanguissent de tant de lenteur. Nos paupières lourdes s’ouvrent à l’écoute de babillements d’enfants, ou de cris de marchands ambulants, puis se referment sous l’action de la chaleur et du balancement du train.
Les distractions ne viennent pas de l’extérieur du train, mais bien de l’intérieur de ce lieu clos où évoluent des étrangers dans une atmosphère détendue et bienveillante. On s’offre du pain, des fruits, ou du thé. L’hospitalité est-elle exacerbée dans ces terres où la nature ne semble pas faire de cadeaux à l’Homme ?
A la sortie du train pourtant, nous mettrons tous de côté ce moment de notre vie pour se projeter dans ce qui nous attend sur le reste de notre chemin. “Excuse me, you have beautiful blue eyes” s’exclame une jeune fille kazakhe à l’adresse de Victor à la descente du train.
Nous n’oublierons ni ce trajet, ni ce ciel azur comme les magnifiques yeux bleus de Victor.
Sur le quai, au départ. Crédits Photo : Sophie Bernad
Des voyageuses pensives.. Crédits Photo : Sophie Bernad
Se reposer, se restaurer: le voyages est long. . Crédits Photo : Sophie Bernad
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