Article rédigé par Maxime Kerdraon
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Les trains ne peuvent pas casser des noisettes ou voguer sur des lacs avec des cygnes. Il n’a pas été porté à la connaissance du public une romance de type Roméo et Juliette entre deux locomotives. Je me suis tout de même demandé si les trains pouvaient danser, si finalement leurs mouvements contraints s’inscrivaient dans une vaste chorégraphie, un ballet.
Le ferroviaire ressemble à un genre pluridisciplinaire littéraire et artistique singulier, un théâtre de vies quotidiennes transportées au gré des envies et des contraintes, entre comédies et drames. Rien de plus normal que les acteurs principaux – les trains – contribuent aussi à l’édifice de ces représentations théâtrales.

Alors j’ai cherché où ils donnaient la pleine puissance de leurs qualités, où leur spectacle serait le meilleur, un cinq étoiles sur billet-réduc, un article dans les Inrocks ou le Graal dans Télérama.

La quête ne fut pas simple.

J’ai vite compris l’insatiable envie de ces artistes de se produire en spectacle de manière quotidienne et, de chaque jour, répéter leurs gammes, en constante recherche d’une perpétuelle amélioration continue, propre à l’industrie. Tant de représentations à disposition donc, et choisir le bon spectacle reste toujours une trahison des autres. Ces artistes sont du genre lève-tôt et parfois faillibles. La dynamique du matin propose une féérie mécanique précise, moins de risques de sur-incidents, de fatigue accumulée de la journée. J’assisterai donc à une séance du matin.

Une valse ferroviaire avec des acteurs nombreux serait judicieuse : le faisceau Nord, un des plus empruntés d’Europe, en approche de la gare du même nom, semble le candidat idéal. L’endroit précis : un espace dégagé où les sons vous envahissent, où les mouvements coordonnés, les croisements minutés vous transportent ; un endroit incarnant cette mécanique de précision à une époque où la saturation des graphiques d’occupation des voies pousse parfois à la déraison. Surplomber un ballet ferroviaire s’impose donc naturellement.
Prendre de la hauteur pour digérer la chorégraphie. Les ponts ne se sont cependant jamais imaginés en gradins providentiels pour music-hall des chemins de fer. On y passe mais on ne peut s’y asseoir. La contemplation s’inscrit trop fugacement. Tous sauf peut-être un. Le franchissement urbain Pleyel, héritage des Jeux Olympiques et Paralympiques, en reliant deux pans de la Seine-Saint-Denis, sait vous faire entrer dans le « show ». Une sortie au terminus de la ligne 14, la gare de Carrefour Pleyel accueille, digne des opéras modernes, une architecture de représentation. Le ballet des escalators donne un avant-goût du spectacle. Une fois en haut de la gare, l’air vivifiant du pont saisit. Point d’ouvreuse pour aider à trouver sa place mais l’instinct dit que les bancs en brique au milieu du pont ne sont pas là par hasard.

Vous prenez place, le décor est planté. Les fumées des toits parisiens au loin, le Sacré-Cœur en face, la tour Eiffel à droite, le metteur en scène ne s’est pas moqué de vous. Il a poussé la minutie à faire varier le temps pour que chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, la scénographie se transforme. Ouigo, RER, TER, TGV, Eurostar, une large diversité d’acteurs ont été engagés. Les coulisses du Landy sont dégagées pour donner vie aux contributeurs de derrière le rideau.

Respirez, le spectacle commence. Contemplez le ballet des trains.