Article rédigé par la Ouatee  Ariane Walck

Préambule

Je suis un pèlerin qui effectue une longue transhumance en train à partir de Paris chaque année. J’aime les bouts de ligne. Les origines brestoises y sont sans doute pour quelque chose. J’ai déjà exploré quelques-unes de ces fins de terre en train depuis Paris. Syracuse, Thurso, Narvik ont chacune en commun ce sentiment qu’on ne peut pas aller plus loin sur les rails. Une nouvelle aventure s’annonce. Un de ces voyages où une nouvelle fois on va prendre le temps de prendre le train ou prendre le train avec du temps. Une double fin de terre ferroviaire se présente à moi, la fin de la péninsule ibérique et la fin de la ligne classique marocaine. Paris-Marrakech, un peu plus de 2500km et aucun itinéraire en train proposé sur Google Maps, se veut une recherche du temps perdu ou du moins une quête du soleil.

Entre fiction et réalité

Paris reste fidèle à lui-même en ce matin d’octobre de mon départ, grisaille parisienne de rigueur. Les gens souffrent du manque de vitamine D ou alors ronchonner est une nécessité imposée par certaines météos. Le temps impose des postures. Du reste, dans l’espace-temps normé dans lequel nous évoluons, mon train est à l’heure.

Je vous l’accorde je sais déjà que je devrais tricher. Le détroit de Gibraltar s’inscrit bien dans la catégorie surfaces maritimes et si les trains vont ingénieusement sur l’eau dans les illustrations de François Schuiten, il faudra m’enquérir d’une embarcation pour récupérer un train à Tanger. L’ingénieux système du détroit de Messine avec des rails dans la cale du bateau permettant de rejoindre la Sicile sans quitter le train n’existe pas encore de ce côté de la Méditerranée.
Je me suis pris un livre approprié « L’Abyssin », l’histoire de l’envoyé de Louis XIV auprès du Négus d’Abyssinie (l’Éthiopie) en Afrique. Le train n’existait pas mais la démarche était proche. Partir à l’aventure et cette citation issue du livre de Jean-Christophe Rufin,

« Tout passe et le voyage aide à recouvrir les fâcheux souvenirs comme les bons en jetant sur eux à poignées de nouvelles impressions des sens. »

L

Le train bateau

Toute la descente de la France, ma voiture se vide au gré des différentes gares Valence Nîmes Montpellier Sète Agde Narbonne. De manière assez inexpliquée ma voiture se remplit à Béziers. Une famille d’asiatiques. On parlait de train bateau. Le passage par l’étang de Thau nous donne l’impression de glisser sur l’eau.Le train vogue vers les côtes espagnoles. La file ininterrompue des trains de fret en gare de Perpignan nous rappelle que parfois le bateau-train se défend déjà. Intermodalité bien sentie.

Le train bateau Crédits Photo : Maxime Kerdraon
Le long des étangs Crédits Photo : Maxime Kerdraon

La douceur madrilène

Quelques dizaines de kilomètres après la frontière, me voilà déjà à Barcelona Sants après environ sept heures à beaucoup contempler. Je file au guichet prendre un train pour Madrid Atocha. Barcelona Sants ressemble beaucoup trop à un aéroport. Je m’y arrête 45 minutes. Me voici direction Madrid et je contemple encore, je découvre l’Espagne intérieure. Comme l’a récemment dit Éric Cantona, les nouvelles générations passent beaucoup trop de temps dans le train sur leur téléphone et ne contemplent plus, alors je contemple. Le soleil semble nous suivre.
La quête commence. Madrid est beaucoup plus majestueuse. 15km de marche à travers la ville puis s’asseoir sur un banc en fin d’après-midi dans le parc intérieur du musée de la Reine Sofia. Les bruits de la ville ont disparu. Le silence. La sagesse d’une reine. Royal !

Évidemment tapas, évidemment chocolat-churros, évidemment me revoilà déjà en route, un Intercité jusqu’à Algésiras. On repart pour sept heures de train. La relativité du temps.

Contemplations entre Barcelone et Madrid Crédits Photo : Maxime Kerdraon

Madrid -Algésiras, au gré du train…

Je pars, il fait encore nuit. La quête du soleil continue. Un lever de soleil vu du train, c’est un lever de soleil différent toutes les secondes au gré des paysages changeant pendant toute la séquence. La traversée du Sud de l’Espagne par l’intérieur oscille entre des plaines jaunies par le soleil, dignes du Far West américain et des collines souillées par la timide verdure des champs d’oliviers qu’on sent rompue à la chaleur et au stress hydrique. Arrivé vers Cordoue, les habitations se densifient un peu plus, la première vraie ville du parcours. Le quai est plein mais personne à part un employé de la Renfe ne monte dans notre train. Nombre de voyageurs ont l’air d’être des vacanciers attirés par l’été indien offert par ces latitudes espagnoles. Cependant ils semblent sur une quête du soleil plus rapide qu’un Intercité de la Renfe. L’Espagne a travaillé sur son réseau grande vitesse, il est naturel qu’il soit le choix principal des voyageurs. La publicité d’un temps relatif plus court séduit mais on réduit le temps de contemplation.On vise la destination, le chemin compte moins. A Antequera Santa Ana, nous nous arrêtons, laissons passer un train grande vitesse. Jusqu’ici rien d’étonnant. Puis nous quittons la voie grande vitesse par une toute petite voie, on passe au travers d’un genre de mini technicentre local, ou peut-être une machine à laver ? Je laisse rapidement le sujet aux spécialistes : nous voici sur une voie bien plus rocailleuse. Une ruelle pour train pour se détourner du temps trop rapide. L’Intercité toussote, s’arrête une nouvelle fois puis repart une au milieu de champs d’oliviers, des collines arides et des panneaux solaires. On est au pays du soleil levé, un Intercité et des cultures se gavant des rayons chauds omniprésents. La traversée des parcs nationaux au sud de l’Espagne me conforte sur la capacité du train à vous faire découvrir des paysages inaccessibles autrement. Me voilà à Algésiras une gare d’extrémité avant de rattraper le train à une autre extrémité après avoir traversé un océan, enfin une mer, enfin un détroit.

« Lever de soleil vu du train » Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Sud de l’Espagne vu du train »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Gare de Antequera Santa Ana »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon

Et au bout, c’est l’Afrique

Bus pour Tarifa, une heure de bateau et c’est l’Afrique qui nous attend. La queue pour le contrôle des passeports à l’intérieur du bateau rend la traversée moins épique. Consolation, on évitera l’attente à l’arrivée. Le soleil tant recherché a amorcé sa course descendante. Tombée du jour tangéroise, oisiveté, on pavoise pour deux jours de pause. Première visite au Maroc et donc premier rapport d’étonnement. L’accueil, la bonhomie, les odeurs, la cuisine, les enfants, les chats vous aimantent. Les températures dix degrés au-dessus de Paris pèsent sans doute dans la balance.La société marocaine optimise naturellement. Votre trajet en taxi verra des montées et des descentes au gré de votre parcours quand l’Europe peine à mettre en œuvre les concepts de covoiturage. La fin de votre repas sera mangée par un nécessiteux dès le départ de votre table. On est sur de l’écologie de la débrouille. Tanger croise habilement les mers et les océans. Un détour par le Cap Spartel vous permettra de toucher au point précis où Méditerranée et Atlantique s’unissent. Il y a parfois très peu entre deux ensembles. Une ligne imaginaire. La guerre crée malheureusement souvent des lignes de force bien concrètes. Des généralités simples complexifient la pensée.L’heure de quitter Tanger pour atteindre ma destination Marrakech. Al Boraq éclaire majestueusement. Proche de notre TGV rames Duplex, il m’amènera à Casablanca, puis un train plus classique jusqu’à Marrakech. Encore une fois je prends le temps de contempler. Les kilomètres jusqu’à Casablanca s’avalent à grande vitesse. On a moins le temps pour observer des paysages agricoles marqués par des serres et des bovins par centaines.

A Casablanca on change d’attirail pour retrouver un temps plus long. Un train proche de nos anciens corails, confortables un peu rustres comme cette porte de la voiture bloquée. Il y en a deux donc on pourra sortir par l’autre porte. On se débrouille. On prend plus le temps. On est parti de Paris depuis déjà cinq jours. Ce temps-là passe lentement vite. Prendre le temps de raccourcir l’inactivité gagnée. Après quelques minutes nous nous extirpons des dernières encablures de Casablanca et rapidement un paysage nu de roches et de sable apparaît. Les locaux comparses de voyage insistent pour souligner que l’on n’appelle pas cela désert. J’insiste et rétorque qu’une contrée de sable et de cailloux y ressemble fortement. Et soudain la ville ocre se dessine. Je touche au but ou presque. Je continuerai sans doute encore un peu à descendre jusqu’au désert d’Agafay mais là point de train. La gare de Marrakech comme celle de Tanger présente un mélange réussi de modernisme et de tradition arabe. La ville vit du tourisme. Hors saison, cela semble être le paradis des retraités. Ceux qui ont le plus de temps pour voyager sont visiblement venus rapidement. Vision cynique de l’esprit : le temps leur est potentiellement plus compté. Dès que vous évitez les artères principales, l’authenticité gagne en notoriété. Le temps travaille plus naturellement. Le réseau grande vitesse ira prochainement jusqu’à Marrakech, bénéficiant au développement du pays et probablement au report modal. Sur le continent africain, accélérer le temps joue donc le mimétisme avec l’Europe. Attablé sur la terrasse du Musée de la Photographie à contempler les bruits et tribulations des Marrakchis, un thé à la menthe me rappelle mon stock mental de photos. Prendre le temps sans mentir.

« L’Afrique au loin nous attend»  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« « Toits de Tanger »»  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Europe vue de l’Afrique »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Cap Spartel »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Al Boraq arrivé à Casablanca »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Vrai-faux désert entre Casablanca et Marrakech »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Arrivée en gare de Marrakech »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon
« Une gare entre traditions et modernité »  Crédits Photo : Maxime Kerdraon