Embranchements russes  Crédits Photo : Arthur Escalier

Traversée de l’Europe : silence et philosophie

Nous partons un jeudi d’octobre 2019

Les lumières de cette fin d’après-midi illuminent Paris de biais. Il fait doux. Cette douceur d’automne qui s’évade très rapidement dès le soleil caché laisse présager des froids hivernaux à venir.

L’ambiance est légère, les terrasses sont encore pleines. Je longe les berges à pieds, puis traverse le quartier latin pour arriver place de la République. Je m’y assois un instant au moment où la communauté Kurde de Paris se réunit pour témoigner des conflits en cours. Accolades et bises, drapeaux à la main.

Je poursuis ma route le long du canal St Martin. Je ne suis pas encore parti de Paris et pourtant, déjà, je me sens étranger. Mon accoutrement – tenue de voyage et sac à dos – m’exclut de la vie citadine.

J’arrive gare de l’Est. Sur l’écran des départs, le Paris-Moscou détonne, entre Châlons-en-Champagne et Troyes.  Sur le quai, des contrôleurs russes en uniforme, le corps et le regard figés. On contrôle nos passeports, nos visas, puis un hochement de tête, bref. Pas un sourire. Le train est confortable et moderne, de fabrication allemande.  Nous sommes quasiment les seuls français à bord et posons un pied en Russie sitôt monté dans le train. Des verres à thé, les podstakannik, sont posés sur la petite table qui jouxte la fenêtre. Ils disposent d’une armature en métal très kitsch qui rappelle la grandeur soviétique et qui empêche les brûlures.

Le train part, sans un bruit, sans un soubresaut. Tout se relâche alors. Le contrôle notamment. La journée fut professionnellement chargée et l’esprit en ébullition se retrouve tout penaud maintenant qu’il n’a plus d’emprise. Plus de décision, plus de choix. Ca y est, nous nous laissons porter.

La banlieue parisienne défile, le soleil descend rapidement. Aperçu des premières campagnes, puis nuit noire.

Installation. Nous ne sommes que deux et le compartiment fait office de chambre d’hôtel particulièrement fonctionnelle. Il y a même une douche au bout du couloir. Nous nous attendions à un voyage peu confortable et nous découvrons du luxe du wagon !

La nuit est excellente, bercée par le roulis du train et l’idée que nous traversons l’Europe.

Je me réveille, nous sommes arrêtés. Je me lève doucement, puis sors sur le quai. Annonces en allemand et tour de la télévision en vue : Nous sommes à Berlin. Les passagers discutent sur le quai en fumant une cigarette en dessous du panneau d’interdiction. Ils ne sont pas allemands.

Tout le petit monde attend et déambule jusqu’à l’annonce du départ qui précipite le retour à bord.

Transformation des lits en banquette, petit déjeuner et discussions profondes. Nous avons le temps, et les sujets peuvent être abordés sans retenue. La liseuse trône sur une pile de revues achetées gare de l’Est. Silence et philosophie. Les paysages sont verts et le relief très doux sans être monotone. Nous remontons imperceptiblement vers le nord et les feuilles se font plus rares, les rayons du soleil traversent aisément les forêts.

Pologne. Les câbles sont plus nombreux et les voitures plus rouillées. La nature est identique.

Nos discussions se prolongent sur la vie, les choix, la psychologie humaine, et finalement sur l’amour. La barre est placée haut.

Dans la nuit, deux dames russes nous ont rejoints dans le compartiment. Aucune langue commune, nous communiquons par mimiques et sourires. Nous leur proposons des noix, elles refusent. Elles nous proposent du salami industriel, nous refusons.

Premiers échanges avec les passagers du train, principalement avec les occidentaux. Un couple de hollandais notamment qui a pour projet de relier Amsterdam à Hong-Kong sans avion. Une compétition de hockey à destination pour elle, lui l’accompagne. Ils sont amoureux.

A la nuit tombée, nous arrivons à la frontière biélorusse, nous quittons l’Europe. Douanier polonais, agréable. Puis 500 mètres plus loin, douanière biélorusse, glaçante.

S’engage alors un étrange ballet d’allers retours que nous mettons du temps à comprendre : les wagons sont désolidarisés, puis amenés dans un immense hangar. Nous regardons hébétés les wagons s’élever dans les airs – nous restons à bord pendant la manœuvre – grâce à d’immenses treuils, et une armée d’ouvriers qui s’affaire à désosser les essieux.

Nous changeons de norme ferroviaire et d’écartement de rail, il faut changer les roues.

L’opération dure deux heures environ, et enfin nous arrivons à la première gare biélorusse. Changement de monde, d’univers, et d’époque.

Dans la gare une odeur de fumée. Les trains d’un autre âge sont chauffés au charbon bois. Des ouvriers tapotent les essieux avec de longs marteaux. Ils y détectent les potentielles fissures, au bruit. Cela me rappelle le comté de ma région natale et les petits marteaux servant à identifier les premières fissures, signes d’un fromage suffisamment affiné.

Nous repartons. Immédiatement un fort roulis secoue le train. Les normes soviétiques et européennes ne sont pas les mêmes.  Il est minuit et je m’endors, malgré les soubresauts, d’une traite.

Le Paris Moscou en gare de Berlin Crédits Photo : Arthur Escalier
Changements d’essieux à l’arrivée en Bielorussie (normes ferroviaires différentes) Crédits Photo : Arthur Escalier
A chque arrêt , nettoyage des vitres et vérification des essieux  Crédits Photo : Arthur Escalier

Les prémices de la Taïga

Au matin, nous arrivons en banlieue de Moscou. Béton, laideur, et disharmonie.

Une journée puis une nuit dans la capitale russe pour un aperçu de la gloire passée. Tout rappelle l’ère communiste. Le kitsch côtoie le massif quand il n’y est combiné. Les gens ne sourient pas, sauf sur les plateaux de télévisions et lors d’un concert croisé au hasard. Un sourire artificiel, exagéré.

Le lendemain, changement de gare, puis nous montons à bord du Transsibérien. Nous sommes désormais quatre amis (deux nous ont rejoints à Moscou) et disposons d’un compartiment entier. Celui-ci devient rapidement notre cocon : nous nous y installons et nous y organisons une petite logistique du rangement finement huilée. Étendage en place, musique douce, et banlieue moscovite défilant. Siestes, lectures, écriture, repas, jeux de société et films rythmeront cette première journée.

Et les 12 journées suivantes.

Dehors, les couleurs changent peu à peu. Les lumières sont de plus en plus horizontales alors que nous filons vers le nord et l’est. Les chênes laissent doucement place aux bouleaux. Au sol, la pelouse verte disparaît peu à peu au profit de longues herbes jaunies : les prémices de la Taïga.

Notre rythme est très lent, et les journées passent donc rapidement. Les repas cadencent notre organisation toute scientifique. Allers-retours réguliers au samovar, bouilloire imposante chauffée au charbon. Un thé à la main, nous lisons. Beaucoup.

Quand l’on veut s’isoler, le bar, quelques wagons plus loin, nous offre un échappatoire.

Entre Moscou et Irkoutsk, nous croisons de nombreux villages et villes. La ligne du Transsibérien structure le pays et la vie s’est construite de part et d’autre de ce corridor.

Des arrêts réguliers nous permettent une petite gymnastique au grand air, avant que notre « Babouchka » une « grand-mère » qui fait office de tenancière du wagon nous intime fermement l’ordre de remonter à bord.

Le départ est imprévisible car l’information distillée en russe nous est inaccessible. Il ne faut donc pas trop s’éloigner du train.

Sur les quais, des estampes proposent produits industriels divers et aliments séchés. Des cures dent en bois écartent les entrailles vidées de poissons fumées. Nous ne franchirons pas le pas de cette expérience culinaire.

A chaque arrêt, les marteaux permettent la vérification des essieux. Ces xylophones ferroviaires agrémentent l’ambiance des gares.

Les débuts et fins de journées sont splendides. Il n’y a pas de relief et l’on suit le cheminement du soleil au plus bas dans l’horizon.

Il n’y a pas de nuage. Les nuits sont illuminées par une lune pleine particulièrement puissante. Parfois, des lampadaires défilent devant la fenêtre illuminant subrepticement nos visages et l’intérieur du wagon. Ambiance polar.

Nous tentons de nouer des contacts avec les autochtones, en vain. Un sourire de notre Babouchka et c’est déjà une petite victoire.

L’hygiène est sommaire et permise par deux toilettes fonctionnelles et brutes aux extrémités du wagon.

Nos repas alternent soupes et pâtes chinoises. Quelques fruits, alcools, gâteaux apéros, et graines en tout genre viennent agrémenter nos festins. Nous mangeons peu et buvons beaucoup (de thé !).

Les jours passent, les pensées s’envolent et les pages se tournent virtuellement sur nos liseuses.

Nous restons parfois des dizaines de minutes à simplement regarder le paysage défiler, le temps n’a plus d’importance. Il devient malléable, il s’étire et il n’est plus question de le retenir.

Parfois, nous nous apercevons par hasard d’un retard. 2, 3 ou 4 heures, quelle importance !

Nous croisons de nombreux trains transportant généralement des marchandises. Les conteneurs qui défilent devant la fenêtre témoignent de l’importance stratégique de la voie ferrée.

Les repas cadencent les journées Crédits Photo : Arthur Escalier

Passage du Baïkal : l’hiver vient

Cinq jours passent, puis un matin nous arrivons à Irkoutsk, au milieu de la Sibérie. Nous nous y arrêtons.

La ville est moche et grise. Des habitations en bois témoignent d’une richesse passée. Il y a eu des incendies, quelques maisons ont survécu, les autres ont été reconstruites en béton.

Un jeune guide passionné met en lumière les intérêts de cette ville sombre. Il sourit et il communique des attraits que n’arrivions pas à voir jusqu’alors. Il a rencontré Tesson venu plusieurs fois au Baïkal, son « haut lieu ».

Il fait froid, l’hiver vient.

Un aller-retour au lac Baïkal.  Une baignade permet de boire une lampée de cette eau potable, presque sacrée.

Nous tentons quelques spécialités locales, sans grande conviction sur leur portée gastronomique.

Quelques courses, quelques mails, puis nous quittons la ville le surlendemain de notre arrivée.

Notre troisième train russe part en fin de journée d’Irkoutsk. Nous longeons le Baïkal de nuit. Un nouveau village roulant, et des nouveaux habitants. Des familles notamment avec des jeunes enfants qui jouent dans le couloir.

Nous sommes désormais des habitués de ces compartiments d’un autre âge et prenons nos marques rapidement. Notre étendage (de la simple corde) est installée, la nourriture est rangée et les lits confectionnés.

Des soldats russes, ivres, tentent un rapprochement en titubant. L’alcool n’améliore pas leur anglais, la communication est difficile. Les courbes de la voie ferrée affligent également leur équilibre corporel, ils frôlent la chute.

Car, rectiligne jusqu’alors, la voie du transsibérien serpente désormais. Nous distinguons alors la longueur du train dans les virages. Cette longue chenille est gracieuse, régulière et constante. Nous suivons les vallées, au milieu d’un modeste relief recouvert de conifères. Au petit matin, les bouleaux ont quasiment disparu.

Nous sommes au cœur de la Taïga, le Baïkal marque la bascule. La végétation tend vers le doré, les verts qui subsistent sont plus sombres.

Les villages sont désormais plus espacés, et les arrêts se rallongent. Nous descendons alors sur les quais de minuscules villages dont les gares et les infrastructures démesurées témoignent d’un passé communiste grandiloquent. Sur la plateforme, les passagers rivalisent de kitsch dans leurs tenues. La plupart sont en pyjama, certains ont même des tongs qui contrastent avec l’ambiance glacée de la Sibérie. Les trains sont surchauffés et invitent à des accoutrements particulièrement domestiques, presque intimes.

Nous nous attachons à notre wagon. Il constitue un cocon réconfortant, une protection contre l’extérieur, froid et hostile. Un abri pour la nuit. Les trains russes dégagent par ailleurs une sensation d’invincibilité. Les tôles sont épaisses, la mécanique simple et massive. Je regarde hébété le personnel ferroviaire manier les wagons comme s’ils s’agissaient de lego. Le raccrochement des éléments du train est l’origine d’un grand bruit métallique témoignant de la violence du choc autant que de la résistance des éléments. Le train est vieux, brinquebalant, mais il inspire la confiance. Un vieux grand-père increvable.

Au troisième jour après Irkoutsk, les premières neiges. Les rivières sont gelées. Parfois des pêcheurs percent la glace.

Nous poursuivons nos lectures et affinons nos stratégies mathématiques au Rummikub. Des cartes postales particulièrement vibrantes dans l’écriture témoignent du roulis du train.

Il n’y a pas d’autres occidentaux à bord, seuls les russes voyagent de la sorte et s’étonnent parfois de notre présence. Quelques allers-retours dans le train nous amènent dans les wagons de troisième classe. Nous tentons d’esquiver pieds, bras et têtes qui dépassent dans le couloir central, il n’y a pas de portes. La traversée du train est un voyage olfactif peu reluisant

En queue de train, nous regardons les voies ferrées défiler. Elles semblent se rejoindre au loin, se recroqueviller, comme englouties par la nature environnante.

Nous dégustons quelques plats de fêtes achetés à Irkoutsk. Une fabrique locale y prépare des pâtes en sauce dont l’emballage se prête particulièrement bien à un séjour sur le Samovar brulant.

Nous franchissons quasiment un fuseau horaire par jour. Nous nous réveillons une heure plus tard, sans changer pour autant notre rythme. Les journées raccourcirent mécaniquement et renforcent cette impression que le temps est malléable à souhait.

Nous filons vite, très vite. Je suis étonné de la vitesse du train et de la linéarité de la voie ferrée. De sa qualité. Le transport de marchandise s’accentue encore. Pour une rame de passagers croisée, dix trains de conteneurs chinois défilent.

La troisième classe du Transsibérien  Crédits Photo : Arthur Escalier
Le compartiment est un cocon  Crédits Photo : Arthur Escalier

Franchissement de l’Amour : entre Russie et Asie

Le relief s’atténue peu à peu, les plaines reviennent et nous redescendons légèrement vers le sud. Même à quai, l’influence du Pacifique se fait doucement ressentir, les températures remontent.

Les rivières et fleuves font également partie du voyage. Certains ponts, chefs d’œuvre construits au milieu du néant, laissent imaginer les sacrifices humains nécessaires à de telles infrastructures.

Nous franchissons le fleuve Amour, majestueux. Un lac allongé qui s’étend jusqu’à l’océan.

Nos téléphones vibrent soudain, on nous annonce la bienvenue en Chine. La frontière ne doit pas être loin. Nous bifurquons franchement vers le sud. Plus qu’une journée, plus qu’une nuit.

Courte la nuit, et nous arrivons somnolents et épuisés à Vladivostok, à 5 heures du matin, éjectés du train par une Babouchka matinale.

Fin de nuit à l’hôtel puis découverte de la cité. Nous prenons conscience du relief et de la géographie particulière de la ville. Bras de mer et collines.

L’urbain russe, décevant jusque-là, propose enfin une partition intéressante. Nous montons sur les massifs, longeons le front de l’océan.

Nous déambulons entre deux univers, l’Asie et la Russie. Les enseignes témoignent de cette influence nippone et chinoise. Les traits des visages parfois laissent imaginer des amours binationaux. Les voitures dont les volants sont à droite pour la plupart (pour une conduite du même côté) confirment les dires d’une passagère du transsibérien : les locaux achètent leurs voitures au Japon. Moins chères et plus fiables. Le monument central qui célèbre une victoire passée de l’armée russe face aux forces japonaises trône encore fièrement sur la place centrale.

Je m’isole dans un parc pour m’imprégner dans l’ambiance locale. Puis j’assiste par hasard à un culte orthodoxe très apaisant.

Le soir, nous découvrons la gastronomie géorgienne dans un lieu haut en couleur qui témoigne du contraste d’ambiance entre Vladivostok et les reste des villes croisées. Les gens semblent heureux, ils sourient.

 

Le calme puis la tempête en mer du Japon

Le lendemain, déjà, nous repartons. Ce voyage est un déplacement, l’idée n’est pas de se sédentariser trop longtemps. Nous embarquons sur un ferry qui nous mène en Corée, puis par la suite au Japon. Le bateau longe le port de Vladivostok et les immenses grues composées de centaines de poutrelles métalliques, avant de prendre le large.
Le soleil décroit et une tension monte. Des avions militaires dans le ciel et des frégates sur l’eau témoignent d’une zone particulièrement militarisée. La nuit tombe, une barrière lumineuse apparaît au large des côtes nord-coréennes. Bateaux de pêche ou navires militaires ? Nous ne saurons jamais. Mais la vue de cet alignement lumineux parfait nous fait froid dans le dos. Nous nous couchons peu rassurés.
Nous nous réveillons sains et saufs le long des côtes sud-coréennes. Un rapide arrêt le temps d’un restaurant, puis nous reprenons le large, face à la tempête. La houle vient.
A bord, beaucoup d’occidentaux avec qui nous sympathisons. Ils ont tous des histoires de vie intéressantes à raconter. Mais sitôt le roulis présent, tous s’éclipsent.
Une nouvelle nuit, agitée. Le matin, je me réveille sans bruit dans le dortoir, puis je monte discrètement sur le pont.
L’arrivée au Japon par bateau  Crédits Photo : Arthur Escalier

Changement d’espace -temps

Devant moi, les côtes japonaises. Je ressens le frisson du voyage, l’excitation de la découverte, la joie de l’inconnu réjouissant. Et je ne suis pas le seul. A côté, un couple d’allemand visiblement ému me raconte un périple conséquent. Leur van est dans la soute. Il est de fabrication allemande et non homologué au Japon, ils s’inquiètent. Un jeune cycliste français me raconte son parcours. Sa copine l’a quitté au milieu de l’Himalaya, en même temps que la chance. Il poursuit, il se bat, malgré les difficultés.
Sur la côte, une végétation dense et des collines douces. Nous contournons l’une d’elles pour arriver à Sakaiminato, notre port d’arrivée. Nous y sommes accueillis par des gardes-frontières nippons obséquieux et profondément désolés de nous demander nos papiers d’identité. Le contraste avec la Russie est total.
Après avoir longuement médité sur le temps et sa relativité, je prends conscience de l’élasticité de l’espace. Nous avons contourné une partie de la planète, traversé des étendues où l’espace est infini pour arriver dans un univers resserré. Tout parait étriqué. Voiture, habitations et distances sont moindres par rapport à nos repères. Heureusement, l’organisation parfaite évite un sentiment d’étouffement.
Le Kitsch aussi est relatif. Coloré et grandiloquent en Russie, il devient enfantin et naïf au japon. Les visages juvéniles qui nous regardent avec une admiration non justifiée nous donnent un sentiment malsain de supériorité. On nous aide plus que nécessaire dans la moindre de nos requêtes et nous nous contentons en retour d’un sourire gêné avec le plus de reconnaissance possible.
Nous retrouvons le train. Il est ici différent. Plus étroit, plus bondé, plus cadencé, plus concentré.
Il s’agit dans un premier temps de traverser l’archipel de part en part. La végétation très dense est presque tropicale. Les vallées très urbanisées sont surplombées de reliefs où la nature semble reine. La tradition est partout, et le dépaysement omniprésent. Parfois, au milieu des forêts, j’entraperçois des pierres tombales recouvertes de mousse. Le monde des esprits.
Le japon est un autre univers dont l’ampleur dépasse nos attentes. Une culture radicalement différente, mais profondément puissante dans ses significations, dans sa beauté et dans sa finesse.
Nous arrivons sur la ligne du Shinkansen, le train rapide japonais. Nous sommes plongés dans l’urbain dense et moderne. Aux toilettes, un panneau de commandes permet de contrôler cuvette et chasse d’eau, entre autres gadgets.
Dernière ligne droite, nous y sommes presque. Après une quinzaine de jours à parcourir les continents européens et asiatiques, nous touchons au but.
Le Shinkansen fille à travers les immenses agglomérations. Nous ne distinguons pas le passage d’une ville à l’autre et le petit millier de kilomètres que nous parcourons pour remonter sur Tokyo ne connaît quasiment aucune interruption dans l’urbain. Tout est propre et millimétré. Les trains filant à 300 km/h sont cadencés toutes les 3 minutes environ. Les voies ferrées sur piles de béton dominent. Nous surplombons les constructions diverses et sans harmonie. Il y a peu de beauté dans cette vision, mais étrangement peu de laideur également. Sorte de neutralité permise par la propreté et l’agencement parfait de tout. Au milieu de cet ordonnancement, seuls les câbles détonnent. Les enchevêtrements de fils noirs contrastent avec la rigueur nipponne.
Nous arrivons à Tokyo, ville infinie. Après avoir croisé des milliers d’individus dans les métros, couloirs, rues et artères de la ville-monde, nous parvenons dans un appartement étroit et fonctionnel et retrouvons nos amis venus de France par avion.
L’un d’entre eux se marie le lendemain dans un temple, nous voulions venir sans avion.
Prendre le temps, comprendre les distances, appréhender l’immensité toute relative du monde.
Le défi est relevé, nous sommes là au milieu de nos amis partis quelques heures plus tôt d’Europe.
Ils auront mis autant d’heures pour venir, que nous de jours.
Il me reste deux revues achetées à la gare de l’Est que je n’ai pas encore lues.
Mais qu’ai-je donc fait de tout ce temps ?
Train japonais   Crédits Photo : Arthur Escalier

Infos pratiques

Attention : Le train direct Paris/Moscou  n’existe plus. Le voyage ayant été effectué en 2019. se renseigner aujourd’hui sur les lignes Paris Tokyo via la Russie est indispensable. Le contexte géopolitique ne permet pas à ce jour d’envisager le trajet dans les conditions décrites dans l’article.